39

À la morgue de la base Orion II, les hommes, qui étaient venus chercher Terra Wilder étudièrent aussi le corps mutilé. Celui qui semblait être d’origine asiatique avait surtout observé ses collègues pendant cet examen. Lorsqu’ils s’écartèrent finalement du cadavre, il s’avança et prononça des paroles dans une langue inconnue. Le défunt se désintégra en une fine poudre dorée. Les cinq hommes échangèrent un regard hostile et sortirent de la pièce, laissant derrière eux les médecins militaires éberlués.

Sans avoir besoin d’être guidés dans le labyrinthe souterrain, les étrangers retrouvèrent leur chemin jusqu’à la salle d’observation d’où l’armée avait supervisé les activités du savant Hollandais durant son court séjour. L’un d’eux s’assit devant un ordinateur et le mit sous tension. Un autre lui tendit une disquette, qu’il inséra dans la machine. Il tapa le mot LOCALISER sur le clavier. Une carte géographique de l’Amérique du Nord apparut à l’écran, sur laquelle un petit clignotant en Californie attira aussitôt leur attention.

 

* *

*

 

Tandis qu’il se soumettait aux tests d’évaluation cardiaque, Terra fut soudainement terrassé par un violent mal de tête. Hélène sonda aussitôt son cœur.

— C’est ma tête ! cria-t-il en se tordant sur le plancher et en tenant son crâne à deux mains.

Les infirmiers le couchèrent sur une civière.

— Je sais que tu as peur, mais j’ai besoin que tu me montres exactement où tu as mal, le supplia Hélène.

— Au-dessus de mes oreilles !

Elle se rappela alors les curieux petits carrés qui apparaissaient sur ses radiographies.

Au même moment, de l’autre côté de la montagne, Allisandre se remettait de sa première initiation. Ce n’est qu’aux premières lueurs de l’aube qu’il avait quitté magiquement la grotte, pour se retrouver à proximité de la cabane. La douleur, cependant, l’avait empêché de trouver le sommeil. De petites étoiles brillantes avaient été incrustées dans la paume de ses deux mains et continuaient de lui brûler la chair. « Je suis censé être mort, alors pourquoi ai-je aussi mal ? » s’énerva-t-il. Galahad s’approcha.

— Comment te sens-tu ?

— Triste.

— Triste ? répéta le chevalier. Mais tu es devenu l’un des maîtres du jeu !

— Peut-être bien, mais contrairement à toi, je n’ai pas choisi d’y participer. On m’a ramené de la mort sans mon consentement et on m’a jeté dans la mêlée sans aucune préparation.

— C’est normal, puisque tu n’es encore qu’un apprenti. On t’enseignera ce que tu dois savoir, comme on le fait avec les écuyers.

Le magicien apparut, cette fois vêtu d’une longue tunique argentée. Ses cheveux blancs flottaient au vent. Il s’approcha en s’appuyant sur la Patte du lion. Alissandre se remit instinctivement à trembler.

— Avez-vous bien dormi, messieurs ? demanda le vieil homme, avec un sourire espiègle.

— Vous savez fort bien que je n’ai pas pu fermer l’œil.

— Si vous m’aviez donné le temps de vous montrer à maîtriser la douleur, vous auriez pu dormir, Alissandre.

Le magicien lui expliqua que ses souffrances n’existaient que dans son esprit. Lorsqu’il arriverait à dominer ses pensées, il n’éprouverait plus jamais de malaise physique. L’apprenti était également préoccupé par une autre question : combien de temps porterait-il ces étoiles dans ses mains ? D’après le magicien, elles ne disparaîtraient qu’au moment où il céderait tous ses pouvoirs à son propre apprenti.

La pensée que le magicien puisse partir avant qu’il soit prêt à prendre sa place effraya Alissandre.

— Si jamais cela devait se produire, je veux que tu te retires dans ma caverne et que tu lises tous mes livres.

— Mais vous en avez des milliers !

— Ces étoiles te permettront de les lire avec tes mains.

— C’est tout ce qu’elles font ? bredouilla Alissandre en contemplant ses paumes meurtries.

— Oh non ! lui assura le vieil homme.

Il tourna sa propre main vers un gros rocher. L’étoile sur sa paume s’illumina et la pierre s’avança en fendant la terre. Le magicien invita ensuite son apprenti à faire bouger un objet de son choix. Alissandre choisit une cible plus petite. Il tendit le bras et la douleur dans sa main devint insupportable, mais le tronc d’un arbre mort roula jusqu’à ses pieds.

— Maintenant, veuillez obliger le seigneur Galahad à venir à vous.

— De la même façon ? s’inquiéta Alissandre.

— Non. Cette fois, utilisez votre esprit et, surtout, ne brusquez pas notre ami. Rappelez-vous qu’il est un chevalier de la Table Ronde et qu’il a appris à se défendre.

— Je le sais mieux que quiconque. J’ai eu droit à une fameuse démonstration de son savoir-faire lors de notre première rencontre.

Les bras croisés, Galahad lui adressa un regard chargé de défi. Alissandre se concentra. Le chevalier se sentit aussitôt tiré par une main invisible. Il eut beau planter ses talons dans le sol, la force continuait de le traîner.

— Pas mal du tout ! se réjouit le magicien.

Encouragé par ses premiers succès, l’apprenti se montra curieux d’apprendre autre chose, mais le visage du magicien s’était assombri ; il ressentait non loin une présence familière. Il conseilla aux jeunes hommes de demeurer calmes et de ne pas jouer les héros, puis il disparut.

Galahad aurait souhaité qu’Alissandre se réfugie dans la cabane, mais il était trop tard. Un détachement de soldats arrivait dans des véhicules militaires. L’officier descendit de la première jeep. L’apprenti mit les mains dans les poches de son manteau et Galahad s’avança le premier, comme le lui commandait son entraînement.

Lorsque le soldat lui demanda pourquoi ils se trouvaient là, il répondit avec tact que la propriété appartenait au chef des pompiers de Redding, qui laissait ses amis s’en servir quand il n’y allait pas lui-même. Il affirma qu’ils n’étaient pas des chasseurs, mais des membres d’un club d’équitation qui visitaient tout le pays à dos de cheval. L’officier ordonna quand même à ses hommes de fouiller leur abri. Galahad dissimula de son mieux son inquiétude. S’ils trouvaient leurs carabines, les militaires ne croiraient pas son histoire. Mais, curieusement, ils revinrent les mains vides. L’officier leur apprit qu’il menait une opération dans la région et qu’il était préférable qu’ils partent. Les deux soi-disant touristes promirent de le faire sans délai. Les soldats parurent satisfaits et poursuivirent leur route.

— Il faut retrouver Terra et vite ! s’énerva Galahad.

L’apprenti et le chevalier se précipitèrent vers leurs chevaux. Cette fois, ils fouilleraient toute la réserve, sans exception.

 

* *

*

 

Hélène montra à Terra les radiographies sur lesquelles apparaissaient les petits objets métalliques qui le faisaient souffrir. Elle voulait l’opérer pour les lui enlever, mais sans l’anesthésier, à cause de son cœur. On avait pratiqué de petites ouvertures dans son crâne peu de temps auparavant et la substance qu’on avait employée pour les refermer était encore suffisamment molle pour qu’elle puisse la transpercer sans difficulté. Elle proposa d’engourdir la peau au-dessus des oreilles pour effectuer de petites incisions. Le reste serait fait à froid. Terra était blême de peur, mais il voulait à tout prix se débarrasser de ses tourments. Il s’allongea donc sur la table de chirurgie, où les infirmiers l’attachèrent solidement.

Hélène pratiqua une première incision. À l’aide d’un petit crochet qu’elle inséra dans l’ouverture, elle retira de la tête de Terra un objet qui ressemblait étrangement à un transistor. Elle referma l’incision et refit l’opération au-dessus de l’autre oreille. Elle prit le deuxième objet avec des pinces pour l’approcher de ses yeux. Il se mit à vibrer ! Elle déposa délicatement les deux composantes électroniques dans un tube de verre. Elle les ferait examiner plus tard.

La pièce devint soudainement glaciale en même temps qu’une étrange lumière apparaissait au pied du lit. Le médecin et ses assistants reculèrent, frappés de stupeur. La tache lumineuse prit peu à peu la forme d’une jeune femme transparente aux longs cheveux. Max avait-il raison ? L’homme qu’il avait repêché dans la rivière était-il véritablement un esprit ? La belle dame s’approcha et posa la main sur le front de Terra, le faisant sombrer dans un profond sommeil. Puis elle s’adressa aux médecins sidérés.

— Ces mécanismes permettent à ses ennemis de le retrouver. Je vous en prie, débarrassez-vous-en.

Sur ces mots, la dame s’évapora. Malgré son esprit scientifique qui refusait de croire aux fantômes, Hélène ne pouvait pas ignorer l’avertissement. Elle s’empara du tube de verre, le referma avec un bouchon de caoutchouc et sortit de la salle de chirurgie. En poussant la porte, elle faillit assommer Max, qui se tenait de l’autre côté.

— Comment va-t-il ? s’inquiéta l’Amérindien.

— Il va mieux, assura-t-elle, incapable pourtant de dissimuler son trouble. Max, prends ce tube et va le jeter dans la rivière tout de suite. La vie de Dillon dépend de ta rapidité.

Il s’en empara, tourna les talons et courut de toutes ses forces. Il choisit le chemin le plus court vers la rivière et s’arrêta sur la berge. Sans hésitation, il lança l’éprouvette dans les eaux glacées.

Quelques kilomètres plus loin, sur la banquette d’une grosse limousine, cinq hommes se dirigeaient vers la réserve. L’un d’eux surveillait attentivement un petit point rouge qui se déplaçait sur la carte géographique de l’écran de l’ordinateur portatif.

— Il a recommencé à bouger, annonça-t-il aux autres. Il se dirige vers le sud-ouest à travers la forêt. On dirait qu’il suit la rivière.

L’Asiatique demanda au chauffeur d’accélérer, puis il s’adossa dans le siège de cuir avec un sourire victorieux. Il tenait enfin sa proie.

 

* *

*

 

Terra fut conduit dans la salle de réveil. Hélène lui tenait la main, espérant que l’intervention de la belle dame lumineuse n’avait pas eu pour but de le ramener avec elle dans l’éther. Soudain, son patient battit des paupières et regarda autour de lui. Il était enfin délivré de l’intense vibration à l’intérieur de son crâne. Lentement, ses souvenirs refirent surface : il se trouvait sur une réserve indienne, il s’était échappé d’une installation militaire et il s’appelait Terra Wilder. En voyant Hélène si inquiète, il sut qu’il allait sans doute lui briser le cœur.

— Qu’avez-vous fait des puces électroniques ? s’enquit-il.

— Je les ai remises à Max. Mais comment sais-tu qui se trouvait dans ton crâne ?

— Ma mémoire est revenue.

Hélène sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle savait qu’elle était sur le point de perdre son nouvel amant, mais elle voulait quand même connaître la vérité.

— Je m’appelle Terra Wilder. Ce sont les militaires qui ont installé ces implants dans ma tête pour m’obliger à terminer ma recherche sur une nouvelle source d’énergie dont ils ont besoin. Je suis un astrophysicien de la NASA.

— C’est donc pour cette raison que les soldats ont ratissé la région, comprit-elle. Mais pourquoi un esprit est-il venu à ton secours pendant l’opération ?

— À quoi ressemblait-il ? s’inquiéta Terra.

— C’était une femme transparente avec de longs cheveux.

— C’est Sarah, ma défunte épouse. Elle veille constamment sur moi, même dans la mort.

— Défunte ? Est-ce que ça veut dire que tu es libre de m’aimer ?

— Je crains que non, avoua Terra en baissant les yeux. Je me suis remarié il y a quelques mois.

Le cœur d’Hélène éclata en mille miettes. Elle tourna les talons et quitta prestement la chambre. Il n’était pas question qu’il la voit pleurer.

Qui est Terra Wilder ?
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